Le prix Nobel de la Paix pour les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki

Le 11 octobre 2024, le comité Nobel japonais a remis le prix Nobel de la Paix à l’organisation japonaise Nihon Hidankyo. Cette ONG porte la voix des survivants des bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki (Hibakusha) et milite pour l’abolition des armes nucléaires. Le choix du comité Nobel a été motivé par les efforts de Nihon Hidankyo pour stigmatiser les armes nucléaires et défendre l’existence d’un « tabou » quant à l’utilisation de l’arme nucléaire, pour éduquer les jeunes générations quant à leur expérience et dénoncer les risques posés par ces armes, et par leur investissement via des témoignages, des résolutions ou des conférences en faveur de la paix et du désarmementPress Release, The Nobel Peace Prize, 11 octobre 2024..

Nihon Hidankyo, dont l’appellation officielle est la Confédération japonaise des organisations de victimes des bombes A et H, a été créée en 1956 et regroupe des Hibakusha dans toutes les préfectures du Japon. Son objectif est à la fois global (empêcher la guerre nucléaire, éliminer les armes, soutenir une norme d’interdiction) et plus spécifique avec des demandes auprès de l’État japonais pour dédommager les victimes des bombardements de Hiroshima et NagasakiL’État japonais étant considéré comme responsable des bombardements du fait de sa décision d’initier la guerre., et améliorer le sort des survivants. L’organisation aide ainsi les victimes dans leurs démarches juridiques et favorise leur accès à la santé. Les mouvements de Hibakusha ont en particulier obtenu l’adoption de la Loi pour la prise en charge médicale des victimes de la bombe atomique en 1957, complétée par la Loi concernant les mesures spéciales pour les personnes exposées aux bombes atomiques en 1968 et, en 1994, une Loi d’assistance aux survivants atomiques. Nihon Hindankyo regrette cependant que ce système législatif ne reconnaisse pas la responsabilité de l’État japonais et ne comprenne pas de système de compensation des victimes par l’État, et continue donc son travail de lobbying auprès de la Diète à Tokyo.

Pour rappel, l’article 19 du Traité de San Francisco, traité de paix avec le Japon, indique que Tokyo « renonce à toutes les réclamations du Japon et de ses ressortissants contre les puissances alliées et leurs ressortissants résultant de la guerre ou d'actions entreprises en raison de l'existence d'un état de guerre »Traité de paix avec le Japon (avec deux déclarations). Signé à San Francisco, le 8 septembre 1951, Textes officiels anglais, français, espagnol et japonais. Enregistré par les États-Unis d'Amérique le 21 août 1952.. Immédiatement après la guerre, les victimes des bombardements n’ont reçu aucune assistance spécifique et ont subi des discriminations et stigmatisations du fait de leur statut. Les premières études médicales sur les survivants financées au niveau local et national émergent à partir de 1952-1953Akiko Naono, « The Origins of ‘Hibakusha’ as a Scientific and Political Classification of the Survivor », Japanese Studies, vol. 29, n°3, 2019.. L’essai nucléaire de bombe à hydrogène « Casle Bravo », sur l’atoll de Bikini, dans les îles Marshall, le 1er mars 1954 a été à l’origine d’un changement de perspective plus important. D’une part, l’ampleur de l’explosion a suscité un mouvement populaire mondial de protestation. De l’autre, les retombées radioactives sur des îles habitées et sur un bateau de pêcheurs japonais, causant le décès d’un membre d’équipage, ont lancé véritablement le mouvement antinucléaire au Japon et les appels à compenser les victimes des irradiations. L’organisation d’associations de victimes est donc montée en puissance à cette époqueGregory Harrison Wright, The History and Legacy of Japan’s Hibakusha Activists, Dissertation, University of Texas, Austin, 2018.. Leurs demandes n’ont cependant pas été intégralement satisfaites, notamment en raison de difficultés à établir clairement le statut de victime, au-delà des irradiés directement présents à Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945 : personnes ayant été présentes dans les deux villes quelques jours après l’explosion ? personnes à naître ? Par ailleurs, beaucoup de personnes concernées ont caché leur statut pour ne pas faire face à des stigmatisations sociales, attendant souvent l’apparition des symptômes de cancers ou autres maladies pour demander des compensations.

Au niveau international, Nihon Hidankyo est surtout connue pour son envoi de délégations de Hibakusha à des événements majeurs depuis 1957, donnant une visibilité aux effets humains de l’utilisation de l’arme nucléaire. L’organisation a insisté sur l’importance du témoignage et le poids de la parole des communautés de victimes. Cette mise en valeur de l’expérience directe des rescapés a eu pour objectif de peser sur les négociations, par exem­ple les discussions diplomatiques visant à interdire les essais nucléaires dans les années 1960-1970 ; ou dans le cadre de grandes manifestations publiques comme dans le cas de la crise des Euromissiles. Elle vise également à transmettre et éduquer les générations suivantes sur les risques de la guerre nucléaire. Au fil des ans, l’ONG est devenue un acteur incontournable des rencontres multilatérales sur la non-prolifération et le désarmement, organisant des expositions, événements et rencontres en marge de grands rendez-vous comme les conférences d’examen du TNP et l’Assemblée générale des Nations Unies. Des membres du bureau ont participé aux différentes sessions de négociation du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et ont été particulièrement mis en valeur depuis l’entrée en vigueur de ce Traité.

Pour le comité Nobel, récompenser Nihon Hidankyo est un moyen de rendre hommage à une communauté de victimes qui disparait progressivement, la moyenne d’âge des Hibakusha étant de 85 ans et même s’il resterait aujourd’hui encore dans le pays environ 110 000 survivantsKathleen Kingsbury, W.J. Hennigan and Spencer Cohen, « The Last Survivors Speak. It’s Time to Listen », The New York Times, 6 août 2024.. Mais dans le contexte actuel, où la communauté internationale s’alarme du risque nucléaire accru, valoriser le combat des associations de survivants est un moyen de donner une résonnance à leur message : la guerre nucléaire est avant tout une réalité humaine épouvantable qui ne doit plus jamais se reproduire.

Le choix du comité Nobel n’est donc pas surprenant, d’autant qu’il a déjà récompensé des associations dénonçant le risque de guerre nucléaire dans le passé, en particulier l’organisation anti-nucléaire ICAN en 2017, l’AIEA en 2005, Joseph Rotblat et Pugwash en 1995 et l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire en 1985.

 

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Le prix Nobel de la Paix pour les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki

Emmanuelle Maitre

Bulletin n°124, octobre 2024



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